Conférenciers invités

Les conférences plénières ont été sélectionnées pour mettre l'accent sur des thématiques émergentes ou d'actualité. Dans l'ordre alphabétique :

Patrick Giraudoux, CNRS-Université Bourgogne Franche-Comté, UMR 6249 Chrono-Environnement - "Une seule santé et écologie du paysage. Leçons d’une pandémie"

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Il ne fait plus aucun doute que la santé humaine, animale, végétale et le fonctionnement des écosystèmes sont ‘uns’ et liés. Ce qui est devenu une évidence pour la science est promu dans le concept d’une seule santé (One Health ou Ecohealth) depuis une vingtaine d’année, y compris par les plus hautes instances internationales. Cependant, force est de constater que dans les faits, nous stagnons au milieu du gué en matière d’intégration conceptuelle et d’application pratique. La notion d’une seule santé ne se résume généralement qu’à un dialogue entre médecins et vétérinaires. Il est certes indispensable, mais les faits l’ont prouvé, limité à la prévention secondaire, à la biosécurité et au curatif, il reste largement insuffisant.

Le concept d’épidémiologie du paysage a pourtant été forgé il y a longtemps, dans les années 1960, par Yevgeny Pavlovsky, un médecin lieutenant-général de l’armée soviétique. Il a été enrichi et élargi au début des années 2000, à destination des décideurs, dans un article séminal ‘Unhealthy Landscapes: Policy Recommendations on Land Use Change and Infectious Disease Emergence’ (Patz et al., 2004). Le nombre d’articles visant la promotion du concept d’une seule santé, sous différents vocables, s’est accru depuis de manière exponentielle (cf par exemple Destoumieux-Garzon et al. (2018) pour une synthèse récente), parfois même en se focalisant explicitement sur la notion de paysage (Lambin et al., 2010). Les conséquences de la dégradation de la biodiversité, même dans ce contexte, sont cependant souvent encore mal comprises et sous-estimées. Par son irréversibilité, et ses conséquences sur la stabilité des écosystèmes, cette dégradation est bien plus grave que les déjà très sérieux problèmes posés par le réchauffement climatique. Les méthodes promues en écologie du paysage font partie de celles intégratives capables d’accueillir à cette échelle la pluralité des recherches motivées par la compréhension des socio-écosystèmes dont la santé de chacun dépend. Elles s’inscrivent alors dans la hiérarchie des échelles de temps et d’espace qu’il est nécessaire de considérer ensemble. La pandémie en cours est typique des composantes de la polycrise de l’Anthropocène. L’anticipation et la prévention de crises majeures telles celle que nous traversons actuellement rendent indispensable l’intégration amont des savoir-faire de l’écologie fonctionnelle et évolutive, dont ceux de l’écologie du paysage, dans le concept d’une seule santé.

 

Christian Kerbiriou, MNHN-CNRS-SU, UMR 7204 CESCO - "Prise en compte de la pollution lumineuse en écologie du paysage, cas des chauves-souris et des connectivités au sein des paysages"

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La fragmentation des paysages, notamment celle liée à l’urbanisation est considérée comme un facteur clé de l’érosion de la biodiversité. En effet, la capacité de se déplacer dans le paysage est essentielle pour satisfaire des besoins quotidiens (recherche alimentaire et gîte) et ainsi que des mouvements de dispersion nécessaires pour maintenir la viabilité des populations (processus démo-génétique). En plus de ce phénomène de fragmentation, l'urbanisation s'accompagne également de l'émission de diverses pollutions (chimique, sonore, lumineuses…). La lumière artificielle, peut contribuer à altérer la qualité de l'habitat et le mouvement des espèces, elle affecte l'orientation des organismes par un effet d'évitement ou de barrière. Ainsi, dans les zones urbaines, la lumière artificielle pourrait avoir un effet cumulatif à l'imperméabilisation des sols et aggraver la fragmentation du paysage dans des zones déjà très fragmentées. La pollution lumineuse devrait continuer à augmenter à l'avenir en raison de l'augmentation mondiale des émissions de lumière artificielle nocturne et de l'évolution des technologies d'éclairage. En effet, on assiste à un développement rapide de nouvelles lampes telles que les LED qui ont une haute efficacité énergétique. Cette caractéristique souhaitable dans un contexte de transition énergétique vers moins d'émissions de CO2 rend les LED moins chères que les autres lampes, ce qui contribue localement à une utilisation accrue de la lumière.

Les politique d'infrastructure verte encouragent l'identification, la préservation et la restauration des corridors écologiques. Plusieurs approches de modélisation ont été développées et largement utilisées pour identifier ces connectivités au sein des paysages. Les corridors sont souvent conçus en utilisant les éléments structurels du paysage, comme les éléments linéaires (haies...) ou réseaux hydrographiques, sans parfois tenir compte des processus écologiques, ce qui peut limiter considérablement leur potentiel pour la conservation de la biodiversité. La mesure de la connectivité fonctionnelle du paysage nécessite de prendre en compte les informations spécifiques aux espèces sur la façon dont les individus réagissent aux éléments du paysage et la configuration spatiale globale du paysage. L'évaluation de la perméabilité au sein des paysages peut se faire à l'aide d'avis d'experts, ou à partir de données empiriques sur l'occurrence ou l'abondance des espèces ou encore à partir de données sur les déplacements des animaux (distance génétique, suivi GPS). Malgré (i) la progression importante des émissions de lumière artificielle à l’échelle mondiale (ii) le fait qu'une proportion significative d'espèces animales soient nocturnes (~60%), et (iii) le développement de politiques favorisant les corridors écologiques, les impacts directs de pollution lumineuse artificielle nocturne sur la connectivité du paysage restent encore relativement peu étudié. Les principales raisons résident sans doute dans (i) la difficulté d'étudier les organismes vivant la nuit, et (ii) le problème de l’accès à des données pertinentes de pollution lumineuse. Avec les développements récents des techniques liées aux suivis acoustiques passifs, les chauves-souris sont apparus comme une bonne espèce modèle pour étudier la connectivité des paysages dans un contexte nocturne car elles émettent en permanence des ultrasons lorsqu'elles se déplacent la nuit. Ainsi, la mesure de l'activité des chauves-souris par l'enregistrement de leurs cris permet de déterminer leurs préférences d'habitat lorsqu'elles se déplacent et ouvre ainsi la voie aux modélisations de la connectivité au sein des paysages.

 

Cendrine Mony, CNRS-Université Rennes 1, UMR 6553 ECOBIO - "Le paysage des invisibles : l’application de l’écologie du paysage aux microorganismes"

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L’écologie du paysage est un corpus théorique important, qui a permis d’approfondir les causes des patrons spatiaux des espèces au sein des paysages et leurs conséquences sur les processus écologiques. Dans le développement des concepts et méthodes de l’écologie du paysage, les microorganismes ont été souvent mis de côté (à l’exception des approches d’épidémiologie du paysage), au profit des macroorganismes mieux connus et plus mobilisables par les gestionnaires. Les microorganismes représentent cependant la majeure partie de la biodiversité connue au sein des écosystèmes, sans commune mesure par rapport aux macroorganismes. Cette biodiversité « invisible » dont on commence seulement à caractériser les composantes, et à appréhender les règles d’assemblage assure pourtant de nombreuses fonctions au sein des écosystèmes. Au sein des agrosystèmes, les microorganismes sont des acteurs majeurs du recyclage des nutriments, mais aussi de la nutrition minérale et hydrique des plantes ainsi que leur résistance aux stress environnementaux. Les activités humaines et notamment les pratiques agricoles tendent à modifier profondément ces assemblages, affectant à court terme les services écosystémiques associés tels que la fertilité des sols. La préservation de ces microorganismes est un enjeu clé car ils seront probablement l’un des piliers de l’agriculture de demain.

L’application des principes de l’écologie du paysage aux microorganismes, les invisibles, a été lente à se développer, notamment en raison de notre compréhension encore très fragmentaire des conditions de répartition des microorganismes, associé à l’a priori qui est désormais réfuté selon lequel les microorganismes, par leur petite taille, ne présentent pas de limitation à la dispersion. Cette transposition de l’écologie du paysage aux invisibles apporte cependant un éclairage nouveau pour comprendre les mécanismes régissant la distribution de ces communautés microbiennes, dont la grande variation spatiale ne peut s’expliquer par la seule hétérogénéité des conditions environnementales locales. Quelques exemples explicites de cet effet marquant du paysage sur les communautés microbiennes du sol seront présentés. Des effets du paysage sont aussi observés à une autre échelle spatiale induisant l’introduction de la notion de micropaysage, c’est-à-dire un paysage de l’ordre de quelques centimètres ou mètres, dont l’hétérogénéité et/ou la quantité d’habitat influence la dispersion et la colonisation des microorganismes au sein des taches d’habitat.

Outre cette particularité de double échelle de réponse spatiale, du micro au macro-paysage, une réflexion est cependant nécessaire pour mieux adapter ce cadre conceptuel aux communautés microbiennes, prenant en compte notamment les temps de génération très courts de ces organismes mais également l’existence d’effets feedbacks sur le paysage. En effet, la dynamique de paysages d’hôtes est sous la dépendance des effets des microorganismes sur la survie, la croissance et la reproduction de leur hôte. Ces pistes de réflexion appellent à de nouveaux développements méthodologiques pour caractériser les métriques paysagères, mais également à étendre le cadre conceptuel existant pour englober ces caractéristiques originales. Plus généralement elles tendent à guider les recherches actuelles en écologie microbienne à une meilleure connaissance des processus de dispersion, et de réponses des assemblages de microorganismes à l’hétérogénéité environnementale.

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